Sorcières et plus si affinités

Nov 21, 2018 | Humeurs | 10 commentaires

 

9782355221224.jpg

Quelques jours après avoir terminé Sorcières de Mona Chollet, je n’arrive toujours pas à décrire mon avis simplement (enfin si, ne t’enfuis pas tout de suite).

Je l’ai commandé dès que j’ai écouté l’interview de l’auteure dans le podcast de La poudre. Je la connaissais uniquement comme journaliste au Monde diplomatique mais j’ai adoré l’écouter parler du statut de la femme et du rapport avec l’histoire des sorcières.

Je ne suis pas vraiment quelqu’un de très « spirituel », dans le sens où je ne suis pas vraiment sensible à tout ce qui se développe aujourd’hui autour du « sacré », des astres ou de l’influence de la lune. J’aime lire certaines choses dessus mais ce n’est vraiment pas mes lectures habituelles. 

Mais les sorcières, c’est un peu à part. Déjà parce qu’elles m’ont toujours fascinées plus jeune mais surtout car je ne les résume pas à un mouvement mystique ou imaginaire. C’est une partie de notre Histoire dont dérive aujourd’hui de nombreuses choses : les propriétés des plantes, une certaine forme de médecine, etc.

Pourtant, je n’ai jamais rien lu de très précis sur cette partie de l’histoire, sur le statut des sorcières, qui elles étaient et pourquoi elles ont été poursuivies. Dans son interview, elle casse déjà certains mythes qui m’ont intéressés : la chasse aux sorcières, ce n’est pas vraiment un mouvement du Moyen-âge ni un cruauté initiée uniquement par l’Eglise catholique. 

Mais j’ai surtout été fascinée par son résumé sur l’impact de ce pan de notre Histoire si sombre et pourtant complètement oubliée sur la place de la femme aujourd’hui. En quelques mots, elle explique que la sorcière était avant tout poursuivie pour son symbole de femme libre, sans enfant, indépendante… Une femme qui finalement ne correspondait pas au statut de la femme que l’époque cherchait à mettre en place : une femme soumise, à son père ou à son mari, faite pour enfanter et qui, à un certain âge, devait se retirer de la société. 

En bref, quelques minutes de ses paroles m’ont convaincue à en lire davantage et la lecture promettait d’être enrichissante sur cette histoire dont on ne parle jamais…

Evidemment, il s’agit de mon avis, par définition personnel. Et comme pour tout, si vous avez un doute, il vous suffit de lire son livre ^^

En un mot…

Pour ceux qui n’ont pas envie de se farcir mon article, je vous livre mon avis principal. Si vous avez envie de lire un essai sur la place de la femme aujourd’hui (en Occident), sur le poids de la société patriarcale et sur des automatismes de réflexions qu’on ignore même en se disant « féministe » : foncez ! Je nuancerais un peu mon propos en suivant mais il reste très intéressant pour déconstruire certaines images de la femme, de son rôle, sa place et sa relation à l’âge ou à la maternité. 

Mais si vous voulez lire sur l’histoire des sorcières, leurs procès, leurs identités…vous risquez d’être déçus ! Même le lien entre chasse aux sorcières et statut de la femme aujourd’hui est relativement rapide. L’introduction reste, à mon sens, la partie la plus instructive sur cet aspect (et mérite amplement l’achat du livre).

L’histoire des sorcières…trop rare

C’est bien là ma déception. Et ça m’embête beaucoup parce que globalement j’ai beaucoup apprécié le livre. Mais il faut beaucoup de recul pour apprécier un livre pour autre chose que ce à quoi on s’attend. C’est comme acheter un livre pour son histoire d’amour et se retrouver avec un thriller. Si le thriller est bon, vous apprécierez sans doute, mais il faudra d’abord aller au-delà de la déception et du sentiment de « publicité mensongère ».

L’introduction mise à part, les références historiques sont relativement éparses dans le livre. Et la plupart du temps, elle se résume à des références cinématographiques. Au fil des pages, les références sont très (trop?) présentes et il y a rarement un chapitre sans description d’un film. Si je comprends le lien entre le cinéma, la représentation erronée de la sorcière qu’il retranscrit et le statut de la femme aujourd’hui…ça ne me semble pas indispensable d’en mettre autant tout au long du livre.

Ce sentiment ne semble pas vraiment partagé quand je lis les avis du livre. Alors il est sans doute purement personnel, je suis toujours en quête d’informations historiques, de liens, de descriptions que je ne connais pas et parfois, ça me rend un peu trop exigeante… Mais clairement, j’ai trouvé le titre et le résumé un peu trop alléchant par rapport à ses propos. Elle pose sa « thèse » de l’impact du statut de la sorcière sans réellement expliquer comment elle arrive à cette proposition. 

Le résultat est que pour moi, Sorcières est un essai féministe – très intéressant – et non un livre sur les sorcières. C’est comme si elle avait sauté l’argumentation pour développer uniquement sa conclusion sur le statut des femmes aujourd’hui.

Le statut de la femme aujourd’hui…très personnel

Pour le coup, si vous voulez déconstruire certains mythes, réfléchir aux mécanismes inconscients de la soumission des femmes, il vous plaira. Par le prisme des trois femmes – indépendant, sans enfant et âgée – elle aborde a peu près toutes les constructions qui font que, siècles après siècles, l’homme a modelé l’image de la femme pour qu’elle soit moins effrayante…et plus contrôlable.

J’ajouterais que c’est un livre que je ferais lire en priorités à toutes ces femmes qui trouvent le féminisme, un peu « trop« , qui prône leur consentement aux rôles que les féministes remettent en question sans jamais s’interroger sur l’origine de celui-ci. Les questions flirtent avec la philosophie mais à partir de quand est-ce qu’on décide en pleine conscience de s’occuper de sa famille, de faire des enfants, de se teindre les cheveux blancs ou de ne pas exprimer leur colère…sans que cela reflète des siècles de construction qui nous amène à penser ces choix comme les nôtres ? 

Bref, pour toutes ces raisons, c’est un essai passionnant sur le statut de la femme et toutes ces choses insidieuses, presque invisibles, qui guident nos choix aujourd’hui sans que l’on s’en rende compte.

J’apporterais un bémol à ces propos, non pas en forme de critique du fond mais plutôt du style (mais ça vient peut être de la forme de l’essai dont les contours m’échappent encore). J’ai été gênée à plusieurs reprises par ses propos très focalisés sur sa propre vie, ses propres choix. Notamment dans le chapitre sur la maternité. Alors évidemment, vous me direz, j’ai une fille, je ne partage évidemment pas son choix de ne pas avoir d’enfant. Mais j’ai beaucoup réfléchi à la question et j’adore que des voix s’élèvent pour dire que la maternité n’est pas ni obligation ni un moyen d’accomplissement de la femme qui lui manquerait si elle ne voulait/pouvait pas enfanter. Je trouve justement que ses propos à ce sujet manque de nuances, de mise en perspective et sont un peu parasités par sa propre envie de ne pas en avoir. Pour moi, ça véhicule tout autant une image très masculine de la maternité, qui, si elle se réalise, bouleverse le statut de la femme au point qu’elle se dévoue entièrement à ça et qu’elle souffre le martyre si elle n’y arrive pas biologiquement. C’est un sujet bien trop complexe pour l’aborder ici en quelques lignes mais j’ai trouvé dommage de ne pas nuancé ce qu’elle estime être une vérité pour elle.

Certains passages sont bien plus « construits » dans le sens où elle utilise ses propres expériences pour démontrer l’impact de ces siècles de façonnage de ce que doit être une femme…exacerbé depuis la chasse aux sorcières.

En conclusion, 

J’ai pris énormément de plaisir à lire ce livre…jusqu’à sa moitié. Après, il m’a fallu dépasser ma déception d’en apprendre plus sur les films que sur les sorcières. Ca reste toujours un moment désagréable de devoir passer au-delà de ce que l’on voulait y trouver pour apprécier le reste.

Petite déception néanmoins, puisqu’ayant adoré son style d’écriture, j’ai filé acheter Beauté Fatale, auquel je saurais davantage à quoi m’attendre (quoique?). J’ai eu de vrais coup de coeur pour certaines thématiques qu’elle développe et qu’on lit que trop rarement. C’est le cas de son dernier chapitre et de l’image de la femme « stupide » face aux questions sérieuses du monde, peu importe son niveau d’éducation et son expérience. Ou encore, de la thématique de la vieillesse, de la sexualité passée à la quarantaine (oui, si tu ne le savais pas, après on est périmé logiquement), bref, autant de thèmes que j’aimerais qu’elle développe à l’avenir !

Et vous, votre avis ? 

Sur le même thème…

Bilan, envies et autre blabla de nouvelle année

Bilan, envies et autre blabla de nouvelle année

On ne va pas se le cacher, les bilans et les résolutions, c'est quand même un peu chiants à lire. C'est très personnel de faire un bilan de son année...je ne sais pas ce qu'on peut retirer du bilan de quelqu'un qu'on ne connaît pas (à part les bilans modes, ça c'est...

lire plus
Petites découvertes #3 (Bonus Noël)

Petites découvertes #3 (Bonus Noël)

Une petite sélection de mes découvertes mêlées de quelques découvertes qui peuvent vous servir pour Noël. Je ne pense pas qu'il y aura d'autres découvertes avant la nouvelle année, la période est très chargée côte pro et perso. Si j'ai le temps, je vous ferais un...

lire plus
Les cadeaux des ados (et pré-ados)

Les cadeaux des ados (et pré-ados)

Avez-vous remarqué que dans les sélections cadeaux, il n'y a JAMAIS des idées pour les ados ? On trouve beaucoup (beaucoup) d'idées pour les bébés, les enfants jusqu'à 3 ans, parfois jusqu'à 6 ans...et puis POUF! on passe aux adultes. Incroyable non ? En creusant un...

lire plus

10 Commentaires

  1. Pauline

    Salut Julie !
    Je fais partie de celleux qui ont adoré Sorcières sans aucune retenue. Je connaissais Mona Chollet pour avoir lu ses deux précédents essais, et je savais donc que ce ne serait pas un livre sur les sorcières, mais bien un essai assez personnel sur la figure de la sorcière en tant que reflet de la société. Après tout, Mona Chollet n’est pas historienne ! Et même si elle est journaliste, c’est avec je crois une autre casquette qu’elle écrit ses essais, d’où ses prises de positions très rattachées à son vécu très personnel. C’est la même chose dans Beauté Fatale et dans Chez Soi, que j’ai adorés tant ils m’ont parlé. En tant que femme sans enfants qui souhaite en avoir un jour, ses propos de child free ont alimenté ma réflexion. Par contre j’ai essayé de regarder un des films dont elle parle et j’ai trouvé ça vraiment chiant 😀
    Je suis fascinée par le regain d’interêt envers les sorcières en ce moment. Je ne m’explique pas bien pourquoi elles ont tant la cote. Mais le livre de Mona Chollet m’a donné de l’énergie, de l’espoir, et a achevé de me convaincre que vieillir allait être cool.

    Réponse
  2. Linda

    Bonjour Julie,
    Etant abonnée à plusieurs sources de lecture féministes, j’avais entendu plusieurs fois parler de cet essai de Mona Chollet. Je ne m’y étais pas intéressée car je pensais justement qu’il serait uniquement question des procès de sorcières, de l’Inquisition etc, et que le « mouvement » des sorcières (modernes ou passées) ne me parle pas du tout. Finalement, ta critique me donne très envie de le découvrir pour la même raison qui t’a un peu déçue 🙂
    J’avais beaucoup aimé « Beauté fatale », je t’en souhaite une très bonne lecture!

    Réponse
  3. Evangeline

    Je suis aussi très intéressée par l’histoire des sorcières et je comptais acheter le livre de Mona Chollet. Je suis plutôt contente d’avoir lu ton article avant de le prendre car je pensais que la question y était abordée de manière plus approfondie que cela ^^. AU moins maintenant je sais à quoi m’attendre !
    Je ne sais pas si cela peut t’intéresser mais j’ai écrit un petit article qui liste des podcasts qui parlent de l’histoire de la chasse aux sorcières d’un point de vue historique. Il y a en a notamment un (Culture 2000) qui est ultra complet et carré.

    Réponse
  4. Pauline

    Oui je confirme, le Culture 2000 sur la chasse aux sorcières est HYPER bien ! (et rigolo) (vive Culture 2000)

    Réponse
  5. Sabrina

    Merci pour ton article Évangéline c’est une mine d’or !!!

    Réponse
  6. Léa

    Merci pour ton avis ! Je compte le lire et j’aurais surement eu la même déception que toi, ceci dit l’aspect féministe et sa réflexion quasi philosophique m’intéresse tout autant.
    Je suis en train de lire « Sorcières ! Le sombre grimoire du féminin » de Julie Proust Tanguy, qui aborde la question de façon plus historique, peut-être que ce livre t’intéressera si tu ne le connais pas encore !

    Réponse
  7. Mathilde

    Hello Julie,
    Je partage presque sans réserve ton avis (je n’ai pas d’enfants, sa réflexion sur cette question ne m’a pas gênée), car j’ai aussi été déçue de ne pas en apprendre plus sur l’histoire des sorcières. Je pense que la promo autour du livre a été relativement trompeuse en ce sens, d’où ma déception.
    Et comme toi, je suis parfois un peu gênée par son argumentaire dans certains passages, voire son non-argumentaire. Je trouve qu’elle a parfois tendance à asséner des conclusions sans avoir vraiment/suffisamment développé avant.
    Mais c’est à mon sens ce qui rend son style agréable à lire, et percutant.
    J’ai du coup moi aussi recommandé le livre en mettant ces warnings.
    Bonne soirée 🙂

    Réponse
  8. Paulne

    Merci pour ton avis qui donne un bon aperçu de l’ouvrage. J’ai écouté La Poudre et je pense que mes attentes étaient les mêmes (je n’ai pas encore lu le livre). Côté podcast, LSD sur France Culture avait abordé les sorcières de manière plus historique il y a quelques mois, super intéressant !

    Réponse
  9. Manon Woodstock

    Merci pour cette petite review qui nuance un peu tout le bien que j’entends partout à propos de cet essai féministe (j’avoue, ça me semblait un poilou suspect, un peu comme pour Zéro Déchet de Béa Johnson que j’avais trouvé soit plein de bon sens soit terriblement WTF ET très mal écrit…bref !). Il est bon de savoir que Mona Chollet ne traite pas de l’Histoire de la sorcière et de sa représentation – et il est vrai que ça pourrait être vu comme une promesse implicite au vu du titre. Tu m’as donné envie de le lire malgré tout, en tempérant mes ardeurs 😉

    Réponse

Trackbacks/Pingbacks

  1. Les livres green du quotidien - Banana Pancakes - […] et sinon, vous voulez quoi ? Des lectures d’écologie plus générale, du féminisme, de la littérature, du […]

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pin It on Pinterest

Share This